- Dominique Allemant
Dynamiques du monde rural : un nécessaire changement de paradigme.
"Au XX° siècle, la campagne a été désertée parce qu'elle n'était plus vivante : solitude angoissante, pas d'emploi, dilution des liens. Elle se repeuple aujourd'hui parce que les villes ne sont plus attractives depuis que la surdensité les a rendues bruyantes, polluées, stressantes et coûteuses."
Boris Cyrulnik, Des âmes et des saisons.
Villes centres et campagnes périphériques
L'agriculture, depuis le néolithique, est à l'origine de la sédentarisation des communautés
humaines, regroupées d'abord en villages, puis en villes. Celles-ci sont apparues dès leur origine comme des centres de pouvoir, et donc de domination sur la campagne alentour. Cependant, seule une minorité de la population y résidait. Tout au long de l'histoire, la population rurale, très majoritaire, produisait par la force de son travail et l'évolution de ses pratiques agricoles, l'alimentation nécessaire à une population croissante.
C'est avec l'industrialisation du XIX°s que la "révolution industrielle" a provoqué l'exode rural, se poursuivant au XX°s, de sorte que les urbains, depuis 2007, sont majoritaires dans le monde, et même très majoritaires dans les pays occidentaux (80 % en France). Le développement actuel des grandes agglomérations accroit encore la domination de l'urbain sur le rural, qui apparait organisé en fonction de la demande émanant des villes, qui conjuguent poids démographique, pouvoirs politiques, économiques et culturels.
La nouvelle donne du XXI°siècle
Le constat du début de ce siècle montre une surpopulation ne pouvant plus être absorbée par l'écosystème de notre planète. Les campagnes ne parviennent plus à assumer leur fonction nourricière, d'autant qu'on attend également des agriculteurs une dimension de "gardiens d'une nature préservée", sans leur donner les moyens de le faire. D'où le hiatus entre ruraux traditionnels, et urbains en attente de modes de production plus vertueux ou du moins plus "verts".
Dans certains pays, des changements prennent forme : d'abord anecdotiques, ils deviennent une évidence. Dans les agglomérations surpeuplées, on cherche à créer des espaces moins denses en végétalisant, en promouvant les transports et les constructions "vertes", et même en créant, suprême paradoxe, une agriculture urbaine. Dans les campagnes, en partie pour satisfaire la demande des habitants des villes, on développe le bio ou du moins des pratiques "raisonnées", et tout le monde aujourd'hui se targue d'avoir une opinion sur les OGM ou la permaculture.
Une complémentarité à réinventer
Dans ce nouveau contexte, exacerbé par la pandémie actuelle, reéquilibrer le lien "ville-
campagne" n'est-il pas indispensable ? L'évidence saute aux yeux : des villes qui croulent sous les difficultés dûes à la surpopulation et à la "surdensité" (gestion des activités et déplacements, de l'alimentation et des déchets, de la circulation, de la sécurité...) et des campagnes sous-peuplées et vieillissantes, où le tourisme, érigé en panacée économique, reste saisonnier et source de problèmes autant que de retombées économiques.
Loin d'opposer les natifs et les néo-ruraux, les agriculteurs et les télétravailleurs, ne faudrait-il pas plutôt valoriser la mixité, tellement plus facile à mettre en oeuvre dans les zones rurales où la pression démographique moindre permet de garder la dimension humaine, la personnalisation des activités et des services qui manquent tant aux zones urbaines dans lesquelles les humains se sentent prisonnier d'un cadre déshumanisé ?
Ne serait-il pas temps de réaménager le territoire en profondeur, d'investir dans le long terme pour l'avenir de notre pays ? De préserver ou créer à la campagne des services de proximité telles que les écoles, afin de fixer une population qui aspire à un mode de vie plus respectueux de l'Humain et de la Terre ?
En guise de conclusion, pourquoi ne pas mettre en pratique cette boutade, attribuée à Alphonse Allais : "Les villes devraient être construites à la campagne, l'air y est tellement plus pur" ?